Merce Cunningham, à la genèse de la danse contemporaine
À l’aube du 20e siècle, un chorégraphe exceptionnel et visionnaire assure le passage de la danse vers l’époque contemporaine.
Entre 1919 et 2009, Merce Cunningham a révolutionné le monde de la danse, en y amenant un élément de hasard et en traçant la scission entre chorégraphie et musique.
D’abord étudiant de Martha Graham, c’est dans le courant « modern dance » que Merce Cunningham apprend l’art de la chorégraphie. Par l’exploitation de mythes et d’éléments de la culture ancienne, cette école de danse visait à faire rejaillir les valeurs et les sentiments d’antan. Peu intéressé par ces titanesques émotions, Cunningham se tourne bien vite vers la chorégraphie solo : il fonde sa compagnie en 1953, encouragé par l’un de ses grands amis, le compositeur John Cage.
C’est en 1951, dans l’une de ses toutes premières compositions, que Cunningham fait danser le hasard sur scène pour la première fois : le chorégraphe tire au sort pour déterminer l’ordre des sections de 16 danses pour soliste et compagnie (1951). Cet élément de hasard n’est pas étranger aux artistes contemporains de Cunningham, et surtout pas à John Cage, qui en a fait sa philosophie de travail. Pour éviter l’habitude et éveiller la vigilance ainsi que la surprise, un élément de surprise est nécessaire. De plus, comme Cage, Cunningham cherche à rendre le spectateur actif, participant. Contrairement à ses mentors, il ne cache aucun sens lyrique, aucune valeur morale dans ses pièces — il laisse plutôt le soin à chaque membre de l’audience de faire son chemin dans la chorégraphie et d’y associer sa propre histoire.
Contrairement à ses mentors, il ne cache aucun sens lyrique, aucune valeur morale dans ses pièces — il laisse plutôt le soin à chaque membre de l’audience de faire son chemin dans la chorégraphie et d’y associer sa propre histoire.
Comme Piña Bausch après lui, il y a chez Merce Cunningham une certaine recherche d’un art total : chacune de ses chorégraphies est alliée à une trame sonore spécifique, à un décor plastique particulier, et bien qu’ils soient indépendants, ils sont indissociables. L’œuvre forme un tout d’où jaillit l’art. Pour donner une meilleure représentation de la vie, Cunningham estime que tous ces éléments doivent coexister, s’entremêler, sans toutefois se mélanger et ne devenir qu’un. Afin de s’assurer qu’une séparation persiste entre la musique et la chorégraphie, plus particulièrement, ceux-ci sont créés à part : Cunningham travaille avec les danseurs, et John Cage, la plupart du temps, compose pour lui. Ainsi, les danseurs de la troupe ne connaissent ni la musique, ni les décors, ni les costumes avant le dernier moment. Hasard, multidisciplinarité et séparation des arts se rejoignent dans un mélange magnifique, accueilli par le public et la critique avec beaucoup de bonheur.
Plus récemment, Merce Cunningham a participé à l’élaboration de Danceforms, un logiciel permettant de modéliser des mouvements de danse afin de les agencer par la suite les uns aux autres, de manière complètement aléatoire. Dans Biped (1999), le chorégraphe présente pour la première fois une danse entièrement formée par le logiciel. Les critiques sont très favorables à la réception de Biped, et elle continue à être montée même après la mort de son créateur.
Par ses multiples innovations, Merce Cunningham a posé les jalons de la danse à venir : plus d’histoire ou d’univers narratif, un rapport moins fusionnel avec la musique, de nouveaux mouvements beaucoup moins rigides qu’avant, et le hasard qui vient se mettre de la partie… Décédé en 2009, Merce Cunningham laisse derrière lui un monde qu’il a complètement changé, en redéfinissant, pas après pas, le monde de la danse tel qu’il était.
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